Ça n’a l’air de rien, mais la question mérite d’être posée, pour la simple raison que de prime abord la réponse n’est pas aussi évidente qu’elle n’y paraît, et que celle-ci diffère selon les films de la saga. Par extension, qu’est-ce qui motive le croquemitaine d’un slasher de poursuivre sa victime ? Si on se limite à la poursuite de la final girl, ce personnage unique qui est l’objet de la convoitise du tueur au moins durant le dernier quart du film, on étend la théorie sur une fascination morbide (Slumber Party Massacre, Carnage, Massacre à la tronçonneuse) ou sur un mobile plus lié à la victime en question (Urban Legend, Le Bal de l’horreur, Souviens-toi… l’été dernier). Dans le cas des sagas, rares sont celles qui confrontent le tueur et sa victime sur plusieurs métrages. Celles des Vendredi 13 ou des Griffes de la nuit ont fini par éradiquer son héroïne phare pour se concentrer sur le tueur emblématique. Pour ce qui est d’Halloween, le personnage de Laurie Strode a nourri de son essence la franchise toute entière, et pas seulement à cause de la notoriété de son interprète Jamie Lee Curtis.
Dans le film de 1978, rien ne laisse supposer à une saga de 13 films. Laurie Strode est une jeune étudiante ingénue et discrète, faisant face malgré elle au Mal à l’état pur lancé à ses trousses. Elle se confronte à la mort de ses amies et aux attaques répétées d’un tueur sanguinaire tout en ayant la charge de la survie de deux enfants en plus de la sienne. Cette nuit de cauchemar la changera à tout jamais. Si Halloween II prolonge encore de quelques heures cette fameuse nuit de la mort, dévoilant via un dossier resté dans l’ombre pendant des années que Laurie Strode est la petite sœur de Myers (inscrivant la saga sous le sceau d’une malédiction familiale qui durera plus de 30 ans), qu’est-ce qui motive le tueur à poursuivre Laurie si l’on isole le film original des nombreux films qui suivirent ? John Carpenter n’avait pour mot d’ordre que de confronter le Mal à l’innocence, au travers de ces deux personnages diamétralement opposés, mais dépeints de la façon la plus élémentaire possible. La suggestion est la force du film, dans sa mise en scène, ses actions, et ses personnages. Ainsi, l’empathie est immédiate pour la victime qui ressemble à tout le monde, aux prises avec un mal mystérieux que rien ne semble pouvoir arrêter. Pourtant, on peut aussi voir dans le film et dans ses personnages des allégories plus profondes, moins simplistes qu’elles en ont l’air. Et si les puritains des années 70 ont très vite fait l’amalgame entre les représentations du patriarcat, de la débauche sexuelle et de la grande faucheuse via Michael Myers contre la féminité fragile, la virginité et la jeunesse ingénue à travers Laurie Strode (par extension la représentation fatale et cliché par excellence du slasher des années 80 et 90), il était temps de voir un peu plus loin.
Car le public a toujours besoin d’explications. Et une raison précise devait être donnée à La nuit des masques pour que Michael Myers attaque Laurie, non comme une victime au hasard qui s’avère plus vaillante que la moyenne. La première théorie cherche à expliquer l’obsession de Michael Myers pour Laurie, en indiquant que ce dernier a reconnu en elle sa défunte sœur Judith. Par cette association d’idées, et toujours pour des raisons floues, il chercherait à la tuer. En effet, après que le boogeyman la découvre pour la première fois (lorsque cette dernière dépose les clés sous le paillasson de la demeure abandonnée des Myers), il la suite à son école, à son domicile, et jusque dans la maison où elle assure le baby-sitting. Pourtant, en suivant cette hypothèse, une autre théorie vient à indiquer que Laurie Strode n’était pas la cible principale de Michael Myers, mais bien sa meilleure Annie. Elle a été celle qui a provoqué Myers dans la rue, elle est également celle pour que Myers finit par suivre en abandonnant la traque de Laurie (il choisit de suivre Annie dans la maison des Wallace et non Laurie dans celle des Doyle), jusqu’à ce que celle-ci se remette inconsciemment sur le chemin du tueur. Au jeu de la ressemblance, tout du moins sur le comportement, Annie et Lynda sont effectivement beaucoup plus proches du tempérament de Judith que la chaste et crédule Laurie.
La damnation familiale dévoilée dans Halloween II (1981) a servi de coup de théâtre dans le film, puis de moteur à la saga lorsque celle-ci a du se séparer de Laurie Strode. Halloween 4 à 6 prolonge donc la peine avec le personnage de Jamie Lloyd, avant de faire revenir Jamie Lee Curtis au centre de l’histoire dans Halloween 20 ans après (1998) et la première partie d’Halloween Resurrection (2002). Là encore, toutefois, aucune raison ne sera donnée à pourquoi Michael Myers tient à tuer sa sœur, si on isole la théorie de la malédiction de Thorn citée dans Halloween 6. Le lien du sang qui unit Michael et Laurie est le leitmotive naturel qui justifie également l’existence et l’invulnérabilité du croquemitaine dans le diptyque de Rob Zombie, Myers n’ayant de raison d’être que dans l’accomplissement de cette sordide réunion familiale. Même orchestrée par le fantôme de sa défunte mère, cette traque sans relâche ne trouvera pas d’officielle explication dans Halloween II (2009). Halloween Resurrection libérera même Myers de cette quête de Laurie en lui permettant d’accomplir le dit meurtre de sa sœur. Dépourvu alors de but, il rejoindra sa demeure d’origine pour y croupir jusqu’à l’arrivée d’un groupe d’adolescents le remettant immédiatement et tout naturellement sur le chemin du génocide.
Dans Halloween de David Gordon Green (2018), tout change. Le lien fraternel de Laurie et Michael est abandonné en même temps que tous les opus donnés au film de John Carpenter. En devenant la première (et jusque-là unique) suite de La nuit des masques, Halloween ne cherche plus à faire de Laurie Strode la cible du tueur. Bien que celle-ci se prépare à affronter le monstre depuis 40 ans, Myers n’aura finalement que faire de Laurie. C’est le Dr Sartain qui libérera le prisonnier de ses chaînes. Si le croquemitaine retournera bel et bien à Haddonfield, s’est pour renouer avec sa folle et sanglante activité, mais là encore, c’est Laurie qui viendra se remettre sur sa route en tentant de l’arrêter. Par la suite, c’est à nouveau Sartain qui conduira le tueur jusqu’aux abords de la maison de Laurie. Mais à aucun moment Myers ne cherchera par lui-même à retrouver la trace de l’héroïne. Preuve en est dans Halloween Kills, qui met en scène un Myers survolté éradiquant tous ceux qui se dressent sur sa route, ignorant Laurie piégée sur son lit d’hôpital (contrairement à l’Halloween II original, dans lequel Laurie restait sa cible coûte que coûte, et que le public aime à comparer). Dans Halloween Ends, c’est Corey Cunningham qui sera l’aimant liant Myers à Laurie, pour un affrontement final cherchant désespérément à boucler la boucle sur 44 ans d’alchimie inassouvie. Un peu comme si malgré lui, le croquemitaine finissait toujours par voir Laurie Strode se dresser sur sa route.
Une dernière théorie de fans a été relatée via le site Screenrant et suggère que Michael Myers s’en prend à Laurie Strode parce que cette dernière est venue « perturber » sa demeure. Il pourrait s’agir là d’une hypothèse d’apparence farfelue, voire légère. Car elle supposerait que lorsque Laurie dépose les clés de la demeure des Myers sur le palier, elle serait devenue instantanément une « cible à abattre » pour le croquemitaine. Néanmoins, si ce fait n’est pas flagrant dans le film original, il est revenu à l’esprit des fans avec Halloween Kills, qui soulignait ce besoin qu’a Myers de retourner dans sa maison, peut-être pour y retrouver un peu de sa « quiétude ». La route jonchée de cadavres dans Halloween 2018 et Halloween Kills serait donc animée par cette théorie conduisant inexorablement Myers vers sa demeure originelle. Et lorsqu’il y parvient, il y commet à nouveau une grande série de meurtres (quatre morts dans Halloween Kills). Par extension, d’Halloween 5 à Halloween Resurrection, Michael Myers a toujours assassiné les personnes ayant posé un pied dans son ancienne maison, le Dr Loomis expliquant lui-même dans Halloween 6 que cette maison est le sanctuaire du monstre, et que seul un esprit dément aurait l’audace de venir s’y attarder. Bien malgré elle, et uniquement à la demande de son père dans le film original de 1978, Laurie Strode aura été la première à entraver la quiétude du croquemitaine d’Haddonfield.
