Quand on se voit confier les rennes d’une suite dans une saga, on doit être prêt à affronter un rouleau compresseur : les producteurs. Comme bien d’autres réalisateurs, Dominique Othenin-Girard s’attendait à avoir un peu plus carte blanche sur son film, dont il avait lui-même signé le scénario. « Je suis très éclectique en matière de films. Mais je me pose toujours en spectateur plutôt qu’en professionnel du cinéma. Mon seul point d’orgue est que je suis perfectionniste dans le visuel. J’aime la recherche visuelle. Robert Drapper a fait un travail formidable avec les lumières ». Malgré toutes les idées et l’investissement émanant de Dominique Othenin-Girard, les producteurs Moustapha Akkad et Ramsey Thomas ne vont pas faciliter la tâche du réalisateur. Déjà serré par des délais quasi intenables, Othenin-Girard va aussi subir des pressions souvent jugées aberrantes. « Pour la scène d’introduction, j’avais une vision très précise de la dimension que je voulais donner au film. Halloween 5 allait plonger la saga dans le fantastique, et tout le monde était d’accord avec ça quand on en parlait en pré-production. Puis les choses ont changé ». La scène en question, telle que prévue par le réalisateur, mettait en scène un personnage atypique, baptisé le Dr Death. C’est lui qui trouvait Myers inanimé à sa sortie des eaux au début du film. « Michael s’échappe et se retrouve dans une mine. Je voulais que le gars qui habite là soit jeune, et j’avais l’acteur idéal, un jeune homme très grand et très maigre, avec le regard d’un illuminé. Le directeur artistique avait aménagé ce lieu de façon géniale, très exotique. Ma scène plongeait le film dans une nouvelle dimension. Il retirait le masque de Michael et le regardait comme le Saint Graal. Et ce personnage célébrait la fête des sorcières de la nuit d’Halloween. Dr Death, en maître de cérémonie, gardait le masque entre ses mains. On effectuait un zoom dans ce masque, lequel nous amenait directement dans le cauchemar de la petite fille qui montait dans le corridor et frappait sa belle-mère avec les ciseaux. C’était très lié comme vision et mise en scène. Un an après, Michael est couché sur une pierre. Le Dr Death s’apprête à le sacrifier aux sorcières. Il tatouait ensuite le symbole au poignet du tueur et se lançait dans des incantations mystiques. Des pierres s’élevaient autour du corps inanimé de Myers et tournoyaient. C’était une belle présentation des origines celtiques et variées d’Halloween. Au moment de cet acte, Michael Myers bouge, le Dr Death croit en un miracle. Mais Michael s’empare de son masque, l’enfile et on retrouve alors le croquemitaine impénétrable qui va tuer. Nous avions tourné la plupart de ces scènes. Puis Moustapha Akkad a envoyé une seconde équipe tourner cette scène avec un vieil homme qui avait des dialogues complètement insensés avec son perroquet ».
Le réalisateur de cette seconde équipe n’était autre que le producteur Ramsey Thomas. Celui-ci n’était pas du tout sur la même longueur d’ondes que Dominique Othenin-Girard. « Moustapha tenait grandement à sa scène, et s’en servait comme monnaie d’échange. Il me disait que si je ne voulais pas changer le montage ici et là, il mettrait sa scène dans le film. Bref, il a exercé une sorte de chantage. J’ai quand même essayé d’accommoder Akkad à mon montage pour ne pas trop l’offenser, mais toute mon équipe était furieuse parce que notre séquence était bien supérieure. Moustapha avait juste décidé qu’elle devait être moins mystique. Il pensait également que le fait de tuer un vieil homme affecterait davantage le public que le jeune que j’avais choisi. J’ai essayé de lui soutenir le contraire, à pure perte. Mais la vraie trahison, c’était d’avoir envoyé une autre équipe pour tourner cette scène sans nous le dire ». La production a toutefois conservé l’idée du tatouage, et le symbole a été inventé par Dominique Othenin-Girard. S’il admet s’être grandement inspiré de signes runes, il s’est permis la liberté des deux points qu’on aperçoit le long de la barre (liberté écartée ensuite dans Halloween 6). « On retrouve le même symbole au bras de l’homme en noir, pour renforcer ce lien qui est encore inconnu. On aperçoit également le symbole sur un mur quand Loomis se promène dans l’ancienne maison de Myers. Il était important de préciser que ce symbole a toujours été là, à la genèse de l’histoire de Michael Myers, même si au départ je voulais que ce soit un ajout du Dr Death lors de ses incantations maléfiques ».
Une autre séquence du film est totalement rejetée par Dominique Othenin-Girard : la première apparition de l’homme en noir. « Cette scène a aussi été tournée par Ramsey Thomas. Je la trouve stupide. L’homme en noir qui sort du bus, et qui donne ce coup de pied au chien comme pour renforcer l’idée que nous avons affaire à un méchant. C’est vraiment bête. Il faut savoir que l’équipe du marketing de Moustapha Akkad n’était pas tendre. Après moins de quatre semaines de tournage, on nous impose le personnage de l’homme en noir. Il ne nous restait que quelques jours pour intégrer ce personnage, qui n’était là que pour délivrer Myers à la fin du métrage. Qui était-il pour Myers ? S’agissait-il de son frère ? D’un membre de sa famille ? Du personnel de l’institut psychiatrique ? Personne ne savait à l’époque. Et à dire vrai, son identité n’était pas à l’ordre du jour. Moustapha Akkad avait déjà prévu de laisser ce détail en suspend pour le numéro 6 ».
Interrogé quant à des scènes coupées d’Halloween 5, Dominique Othenin-Girard répond avec simplicité qu’hormis sa séquence avec le Dr Death, il n’existe pas de scènes additionnelles. La raison est simple : « Nous n’avions pas de temps pour en tourner davantage ! ». Il existe par contre de nombreuses archives making of du film (notamment Inside Halloween 5, parmi d’autres featurettes que l’on retrouve désormais dans le coffret ultime sorti en blu-ray le 23 septembre aux USA). Rien ne permet toutefois de juger d’une animosité ou de tensions sur le tournage. On note cependant la présence omniprésente de Moustapha Akkad lors du tournage, et la difficulté de la part des comédiens interrogés, à savoir Donald Pleasence, Danielle Harris, Beau Starr (shérif Meeker) et Wendy Kaplan (Tina), à répondre aux questions visant à promouvoir le film. Ils promettent des surprises (sont-elles bonnes pour autant ? rien n’est dit) et des rebondissements inattendus. Mais la confusion est palpable. Une confusion partagée par le public, déstabilisé par les arguments flous du scénario. Parmi toutes les surprises annoncées, les résultats au box-office américain auront été la plus mauvaise d’entre elles : à peine plus de 11 millions de dollars de recettes, le moins bon résultat de la saga, derrière Halloween III en 1982. Six ans seront nécessaires avant un nouveau retour de Michael Myers au cinéma.
