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L'ANTHOLOGIE DE MICHAEL MYERS ET DE LA SAGA HALLOWEEN

TRILOGIE HALLOWEEN 2018 : LA SYMBOLIQUE DE DÉCONSTRUCTION PAR L’ÉQUIPE DE CRITIKAT

Le site Critikat (créé en 2004 par Clément Graminiès et aujourd’hui porté par Josué Morel) propose d’excellents regards sur les films en tous genres via des analyses fines de ses équipes de rédacteurs. En témoignent celles de la trilogie de David Gordon Green, qui autopsient avec recul et philosophie les métrages sans oublier d’en dévoiler les liens avec la saga originelle, bien que celle-ci soit écartée de l’équation par une importante volonté de l’effacer sans l’ignorer. Cette trilogie ayant autant rassemblé que divisé les fans sur le bien-fondé des axes narratifs exploités, les rédacteurs ont élargi la vision première portée sur les films pour en extraire un autre aspect et dès lors une toute autre légitimité.

Halloween 2018 : le réveil de la force

« Pour comprendre ce qui motive ce Halloween réalisé par David Gordon Green, il faut se pencher sur les trois temps de son prologue. Premier temps, premier plan, celui d’une horloge qui vient rappeler les quarante années écoulées depuis La nuit des masques de John Carpenter, alors que le spectateur est sur le point de retrouver Michael Myers et Laurie Strode […]. Deuxième temps, deux journalistes approchent du « croquemitaine », vu de dos. Les tempes du « monstre » sont blanchies mais sa stature reste imposante. On lui présente son masque, ce visage blanchâtre sans expression caractéristique de la froideur du tueur, en lui sommant de se réveiller […]. Troisième temps, celui du générique : le thème de John Carpenter retentit, une citrouille ratatinée et aux contours dévorés par la moisissure retrouve seconde après seconde, par le truchement d’un effet numérique, sa forme et son éclat d’origine. La lueur qui éclaire le sourire grimaçant du légume acte le retour du mal, le jeu entre le chat (Michael) et la souris (Laurie) peut reprendre«  . Josué Morel touche dès le début de sa critique un point capital du film Halloween 2018, portant sur la touche de nostalgie générée par le projet et les prémices du film. Cet axe, baptisé par le rédacteur comme « le réveil », pose les bases de l’étude avec comme argument le souhait du réalisateur de renouer avec le film d’origine « ni tout à fait une suite ou un strict remake » par le biais de ses deux personnages mythologiques, les effets du temps (voire « des stigmates » comme l’indique l’auteur) sur eux, et l’idée d’un nouveau jour faisant table rase du passé (par là, les films autres que l’opus original dans la saga).

Jamie Lee Curtis dans une spirale sans fin.

Passée cette séquence d’ouverture, le film semble avoir toutefois beaucoup moins d’impact, encore une fois d’après le rédacteur, qui déplore l’énergie investie par le réalisateur pour renverser les rôles du chat et de la souris et reproduire sans réel impact les situations du film original en interchangeant les protagonistes pour mieux surprendre le public (et par là même les aficionados de la franchise). Ce volte-face sur lequel repose, il est vrai, tout le potentiel de ce ‘seul et unique’ retour du tueur, n’apporte aucune nouvelle sève au mythe de Michael Myers, désacralisé dans cette nouvelle mouture par le sort réservé au personnage (sa perte d’aura fantomatique, son recours au meurtre mécanique à la chaîne, la permutation du chasseur et de la proie du dernier acte). « Les coutures de ce petit jeu scénaristique, plutôt vain, se révèlent particulièrement visibles : Laurie est devenue le prédateur, le « nouveau Loomis » s’avère être un double maléfique de l’original et le film se referme sur le couteau du tueur tenu par l’une des survivantes, entérinant le renversement de l’intrigue » . Fait qui n’en est que plus difficilement digeste par l’arrêt total de cet axe narratif dans Halloween Kills, qui choisit soudainement de s’éloigner de toute marque humaine de Myers en lorgnant purement et simplement vers l’autre travers du personnage : sa dimension fantastique et surhumaine, après avoir passé près de 110 minutes à le rationaliser au maximum.

Michael Myers en plein questionnement : « Qui suis-je ? Où vais-je ? »

Halloween Kills démarre en effet là où le précédent s’était arrêté, en se permettant même un voyage dans le temps en renouant, le temps d’un flash-back, à quelques minutes de cette nuit du 31 octobre 1978 dépeinte dans le film original de John Carpenter. Si ce bond dans le temps marque une surprise autant qu’un souci ardu du détail pour renouer avec la marque vintage de cette vague nostalgique définitivement assumée, « la mode, désormais courante, de faire revenir des figures des fondateurs d’une franchise est poussée ici à un point paroxystique, avec ce club des anciens combattants constitués de deux enfants baby-sittés dans le film de 1978, mais aussi de l’infirmière accompagnant Loomis dans la scène de l’évasion de Myers » obligeant le spectateur à se demander pourquoi il était si important d’effacer les films précédents pour finalement réitérer l’exercice sur de nouveaux films à rallonge. « […] la découverte de cet énième Halloween pose une question inévitable : pourquoi donc encore revisiter ces figures emblématiques du cinéma de genre ? Pour refaire les mêmes films ? » . Car qu’apporte finalement de plus Halloween Kills à la saga initiée il y a plus de quarante ans qu’aucun autre métrage, passablement abandonné en route, n’avait déjà fait ? Mélange balourd et obsolète des intrigues d’Halloween II par les plans de Laurie à l’hôpital et d’Halloween 4 par le soulèvement des habitants de Haddonfield contre leur assaillant, le film est sans appel pour le rédacteur : « En résulte une bouillabaisse narrative et formelle, où Gordon Green semble avant tout obnubilé par la gestion, parfois parodique, d’un héritage (cf ce couple homosexuel dont les époux se surnomment « Little John » et « Big John » en hommage appuyé à Carpenter), loin de la simplicité constitutive de Myers qui, même dans des films moins notables de la franchise (exemplairement, Halloween 4), faisait naître, ici et là, des bouts de plans ou d’apparitions. Il faut voir (et entendre) la tuerie finale, sorte de petit clip où Myers, mythifié et déspatialisé par l’esthétisation de la séquence, trucide à tour de bras, tandis que Strode verbalise ce que les derniers plans du film de Carpenter racontait silencieusement (Myers, invisible, partout et nulle part à la fois, devenait omniscient par l’effroi qu’il suscitait), pour comprendre que Gordon Green essaie bien quelque part de refaire le film de Carpenter, mais sans inspiration, par un trop-plein de visible qui confine parfois au ridicule » .

Halloween Kills : Michael Myers, et la lumière ne fut plus.

Comparant dès lors le film à un vide à combler (ce qu’Halloween Kills a été à la seconde où furent envisagées non pas une mais deux suites au succès du film anniversaire de 2018), Josué Morel finit par évoquer ce pont fragile que Myers traverse pour passer du statut de psychopathe prisonnier à tueur fantastique et invincible, non sans se retrouver parfois enlisé entre deux marches boueuses de cette passerelle criblée de pièges, finalement totalement ignorés pour plus de facilité en fin de parcours (du film, voire même de la trilogie avec ce que prépare Halloween Ends sur cet épineux point). « De ce qui importe – la présence fantomatique de Myers, son mode de prédation, la manière dont il ne cesse de briser la frontière entre le monde visible et le surnaturel -, le film ne fera en revanche rien, ou presque (seule micro-exception : cette scène où Myers apparaît furtivement dans une salle de bain avant de briser l’ampoule), et se contentera, à une échelle plus large, de combler un trou qui sépare le précédent film et le suivant, en annonçant, dans ses derniers plans, l’affrontement final entre Strode et sa Némésis. Il est vrai qu’il serait temps d’en finir » . La promesse de cet ultime affront, présenté en clôture de film, n’est d’ailleurs qu’une énième supercherie face à l’incommensurable revirement ouvrant le bal d’Halloween Ends, notamment via le traitement psychique de Laurie Strode, qui passe de machine de guerre prête pour une ultime confrontation à mamie gâteau ouvrant grand les portes de sa maison plantée en plein Haddonfield à un croquemitaine dont les émanations meurtrières ne se sont même pas encore évaporées.

Image d’une Laurie Strode déterminée… à s’installer en plein cœur de Haddonfield et préparer des tartes en fabulant que le cauchemar est terminé.

La facilité avec laquelle on pourrait assommer, voir enterrer Halloween Ends pour toutes les aberrations qui y sont dépeintes n’étant pas le genre de la maison, l’équipe de Critikat, par le biais du rédacteur Jean-Sébastien Massart, décide de voir le film sous un autre angle, plus constructif, voir idéologique. Baptisée « Requiem », la critique du dernier chapitre de la trilogie explore l’idée de fin décrite par le titre-même du film. « Comme son titre l’annonce, il est question de fin dans Halloween Ends – et même de plusieurs fins. D’abord celle de la trilogie entamée par David Gordon Green en 2019. Puis celle de la saga, composée des treize films engendrés, depuis quarante ans, par le chef‑d’œuvre de Carpenter. Enfin, celle d’un personnage emblématique, Michael Myers, que ce chapitre final enterre à la manière d’une rock star. Halloween Ends est donc un film qui cumule les fins. Ce n’est pourtant pas un film-somme, une anthologie ou un best of : la fin y apparaît moins comme un programme commercial (au sens où Gordon Green capitaliserait sur l’histoire de toute la saga) que comme un sujet – l’unique sujet. Halloween Ends est un film sur la fin, l’usure, l’épuisement ; son prologue n’est pas loin de ressembler à celui du dernier Scream [l’opus de 2022, NDR] : la mise en scène s’amuse de rôles prédéfinis (le baby-sitter, l’enfant terrifié) et d’objets fétiches (un couteau de cuisine posé sur une table), auxquels le spectateur ne croit plus vraiment. Le dénouement attendu de la séquence est donc inversé, selon un procédé que tout le film va décliner : au lieu de boucler, il défait ; au lieu de satisfaire des attentes narratives, il déprogramme ; au lieu de s’intéresser au tueur masqué, il regarde ailleurs » .

Michael Myers ou la chute d’un roi.

On ne peut que saluer l’immense travail de recul du rédacteur pour analyser avec objectivité un métrage qui prend autant à revers la trilogie, voire par extension la saga toute entière sans soulever l’idée, sans doute folle, de faire d’Halloween Ends un nouvel épisode alternatif comme le fut à son époque Halloween III : season of the witch, dont le film de Gordon Green copie l’esthétique calligraphique dans son générique d’ouverture, quarante ans après. Au contraire, le rédacteur accepte d’emblée le nouvel arc narratif déployé dans cet opus de 2022, peut-être justement parce qu’il met fin à une série de critiques s’amassant dans le regard porté sur Halloween 2018 et Halloween Kills : « L’éclipse de Myers dans la première moitié du récit constitue une très bonne idée. Rendu à sa fonction d’incarnation du Mal, le tueur vit dans une tanière à côté d’un sans-abri et continue de hanter Haddonfield comme une vieille légende. L’épilogue du film, qui s’orchestre autour d’un convoi funéraire, montre comment la ville célèbre son démon tout en lui disant adieu : la dépouille de Myers est portée par la foule comme […] on enterre un roi. […] Il est difficile de passer sur ce geste de fétichisation mortuaire, qui représente peut-être le seul effet de bouclage du film. Il est difficile aussi de ne pas voir que Myers tire sa révérence dans un paysage cinématographique un peu crépusculaire, notamment au regard de celui dans lequel il est apparu, il y a de cela quarante ans » .

La romance comme élément positif dans Halloween Ends ?

Jean-Sébastien Massart termine son analyse par le dévoilement des aspects politiques et sociaux que le film de David Gordon Green affiche à travers ses personnages torturés, en faisant le parallèle avec d’autres métrages contemporains portés sur cette notion de génération sacrifiée : « Halloween Ends aurait pu se complaire dans cette esthétique mélancolique (le film a parfois un côté Mourir peut attendre), mais l’éclipse de Myers ouvre la voie à un personnage nouveau d’apprenti-tueur : Corey Cunningham. En introduisant une romance entre Corey et Allyson Strode (la petite-fille de Laurie), Gordon Green rappelle que l’essence du film de Carpenter ne tenait pas seulement dans les apparitions-disparitions du tueur, mais aussi dans le regard qu’il portait sur la jeunesse américaine, au seuil d’une décennie qui s’apprêtait à la célébrer (les années 1980 demeurent définitivement l’âge d’or du teen movie). Par quoi la jeunesse est-elle hantée ? Halloween Ends repose cette vieille question propre au slasher en la traitant dans un lyrisme un peu démodé, presque romantique à force d’excès. Les scènes de promenades en moto comptent parmi les plus belles du film ; elles évoquent autant James et Laura dans Twin Peaks que l’esprit dark du dernier Batman, où Pattinson traverse Gotham sur Something in the Way de Nirvana. Elles confèrent à la jeunesse d’Halloween Ends un désespoir très contemporain, où l’on peut lire à la fois un portrait de l’Amérique blanche déclassée et l’expression d’une colère qui doit exploser, comme dans le Joker de Todd Phillips. C’est par cet aspect, que l’on pourra qualifier de politique, qu’il est possible de mesurer l’apport de Gordon Green à la franchise. Dans le précédent volet de sa trilogie (le peu aimé Halloween Kills), Myers apparaissait comme une bête traquée répondant à la violence de ses agresseurs par une rage dévastatrice. Avant que tout ne s’efface, avant que l’homme au masque blanc ne soit porté par les habitants d’Haddonfield jusqu’à l’endroit où il va connaître son apothéose, il aura transmis à la jeunesse le feu de sa révolte. On ne l’attendait pas sur ce terrain-là » . L’hommage est appuyé, permettant un autre regard sur le film, plus sombre et tourmenté. Halloween Ends met en lumière les travers de sa génération, reflet d’une époque déchirée sur laquelle la plupart des gens n’a pas encore réussi à prendre de la distance. L’année 2022, pendant laquelle est sortie Halloween Ends, a pourtant effectivement été illustrée par d’autres flancs de la vague de cette nostalgie amère et quelque peu désespérée, tels que Scream 5, Massacre à la tronçonneuse 2022 ou encore le remake d’Hellraiser. À ces notes particulièrement pessimistes, on espère un regain plus salutaire et lumineux pour l’avenir, que ce soit celui de la franchise Halloween, du cinéma en général, voire du monde tout entier.

Un regard sévère porté sur la jeunesse d’aujourd’hui : rebelle et torturée.
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