Replaçons-nous dans le contexte de l’époque pour connaître en détails comment la saga Halloween s’est un jour tournée vers l‘épisode Season of the Witch. En 1981, Halloween II est un tabac, confirmant que Michael Myers continue de se tirer du lot des nombreux copycat sévissant dans les slashers. Le producteur Moustapha Akkad s’en frotte les mains, tandis que John Carpenter et Debra Hill pensent déjà à la suite des opérations. Selon eux, la machine Halloween peut permettre de mettre en lumière les légendes païennes qui se cachent derrière cette étrange fête. Aussi tentent-ils une approche exclusive en optant pour la mise en chantier d’histoires indépendantes ayant chacune pour thème la fête d’Halloween, à hauteur d’un film par an. La nuit des masques et Halloween II formant une histoire, il était temps de passer à une autre. Nigel Kneale, fort du succès de la série des Quatermass, est sollicité par Debra Hill pour participer au projet. Ce dernier, très intrigué par la dominante magique de la fête celtique, écrit dès lors une histoire de mythe païen mêlé à une dominante moderne via la télévision. Au scénario s’ajoute Tommy Lee Wallace, à qui la réalisation est promue. La mise en chantier concrète du film commencera très vite au début de l’année 1982.
Halloween III : Season of the Witch n’est donc pas l’ultime volet d‘une trilogie, mais la pièce de transition vers une autre forme de saga. Le script développe l’histoire d’un couple parti enquêter sur les étranges méfaits d’un riche concepteur de masques d’Halloween, derrière lesquels semble se cacher une terrible conspiration. À sa sortie en salles, le film est bercé par une publicité approximative et d’un slogan induisant forcément en erreur : « Par les créateurs d’Halloween et Halloween II ». Halloween III crée donc la surprise, mais dans le mauvais sens du terme, devenant la risée au box-office et engendrant la stupeur auprès du public. De toute évidence, Halloween III souffre de son titre. Le public n’a pas compris un tel virage dans la suite de la saga. Michael Myers ayant disparu de la bobine, les spectateurs n‘ont été que moyennement saisis par la nouvelle histoire. Celle-ci fonctionne pourtant de manière adéquate aux projets escomptés par John Carpenter. Le mythe de la fête d’Halloween en est d‘ailleurs encore plus présent quand dans les deux films originaux. Cette fois, la force du film puise à la source de la légende, jouant avec les principes ancestraux de la célébration païenne et sur le devenir de cette fête via la quête des bonbons par de jeunes enfants déguisés. Conal Cochran, magicien créateur et sorcier moderne, a pour l’occasion d‘Halloween conçu le plan le plus machiavélique jamais envisagé : des masques pour enfants, flanqués d’un pouvoir dévastateur, et destinés à l‘éradication totale d’une génération. Pour se faire, les masques Silver Shamrock sont dotés d‘une pastille (au sigle du trèfle irlandais, origine de Cochran et d‘une part de la fête d‘Halloween), un alliage complexe mêlant mécanique moderne avec un fragment d’une pierre ancestrale provenant du site de Stonehedge, en Ecosse. La force magique des masques est donc puisée dans le contexte des rites de l’époque. Cochran cite d’ailleurs Samhaïn, tout comme le fit le Dr Loomis dans Halloween II.
Halloween III en soi se développe comme une enquête policière menée par le Dr Dan Challis et la jeune Ellie Grambridge, deux héros bien loin de se douter du terrible projet de Cochran (Dan O’Herlihy, vu dans Robocop, ici tout simplement terrifiant). Leur épopée démarrera dans un hôpital où Harry, le père de l‘héroïne est assassiné par un homme à l’allure étrange. Ce dernier se donnera même la mort après le meurtre. Dan et Ellie tenteront de refaire le parcours d’Harry pour comprendre les raisons de sa mort. Leurs recherches les conduiront à Santa Mira, une petite bourgade dans laquelle Cochran a installé son usine de masques. C’est sur place que les deux héros vont peu à peu découvrir l‘odieuse combine et le but réel de la propagande commerciale des célèbres masques.
Certes, après les deux slashers de base, le spectateur nage cette fois en plein délire fantastique, à la limite de la science-fiction. Mais la dominante de magie opère avec efficacité, dès lors qu’on se soit investi de plein pied dans l’histoire. Ici, pas d’allégorie sur la sexualité, pas d‘ancrage dans le rêve ni d’affrontement entre le bien et le mal, mais une dénonciation très prononcée du pouvoir de la télévision sur les gens, et notamment sur les enfants. Un contexte social moderne qui tire son épingle du jeu, comme le fit Videodrome de David Cronenberg ; objectif qui fonctionne même aujourd’hui, sous une forme légèrement différente, mais à l’impact identique (notamment internet, dénoncé via Terreur.com ou Pulse, voire le thriller Intraçable). Point de vengeance ou d‘incarnation du Mal à l’état pur, Halloween III expose un tueur méthodique froid et décidé, qui plus est passe l’essentiel de ses viles actions par le biais de la petite lucarne. Après le couteau de boucher, c‘est la télévision qui devient l’arme qui sème la mort. Pour clin d’œil, un jingle et un extrait d’Halloween : la nuit des masques viendront apparaître sur les écrans comme pour servir à la transition. Halloween III développe aussi le phénomène commercial d’Halloween, par le biais de cette vente de masques et des publicités à outrance qui servent à cet événement. Cette épidémie médiatique n’a pas baissé d’un cran depuis plus de 25 ans, ce qui permet au film de rester concret aujourd’hui. La dominante électronique qui caractérise Halloween III sera d’ailleurs illustrée musicalement par John Carpenter et Alan Howarth dans une bande originale exclusivement au synthétiseur, accentuant la dimension glaciale de la ville de Santa Mira sous l’emprise des droïdes de Cochran et autres caméras de surveillance.
La réalisation de Tommy Lee Wallace est contre toute attente encore plus proche du style de John Carpenter qu’Halloween II. La musique joue énormément, mais la mise en scène statique et l’usage du cinémascope, sans omettre le héros typique ici interprété par Tom Atkins (déjà présent dans Fog de Carpenter) et l’allure inquiétante des droïdes (qui n’est pas sans rappeler celle, froide et impassible de Michael Myers) y participent grandement. Bien évidemment, le suspense façon La nuit des masques est approché grâce à ce que les mauvaises langues pourraient aujourd‘hui appeler des ‘longueurs’, et cette faiblesse dans le rythme est parfois dure à supporter dans Halloween III. Sans verser de sang à outrance (il n’y en a, à dire vrai, pas une goutte hormis lors du meurtre du clochard), Halloween III surprend aussi par la force de ces scènes gores. Décapitation, boîte crânienne brisée, visage explosé, sans oublier la terrifiante ‘démonstration des masques’ et l’entrée en scène de milliers d‘insectes grouillants et reptiles rampants sortis tout droit des masques ; la solidité des effets utilisés garantit leur impact. Choqué par la dimension horrifique finale du film, Nigel Kneale a même insisté pour que son nom soit retiré du générique. Cette forme d’horreur psychologique aidée d’effets spéciaux façon ‘vieille école’ est pourtant terriblement savoureuse, car devenue rare de nos jours où le sang se calcule par litres. A cela, le célèbre final du film est un hommage à L’Invasion des Profanateurs de Sépultures (1956) duquel Halloween III s’inspire aussi pour son idée de menace inévitable. On regrettera cependant un casting un peu dépassé par le projet. Les acteurs secondaires sont souvent des clichés de l’Amérique de l’époque, donnant au film un côté brouillon.
Même si Halloween III tient à diriger son public vers une nouvelle épopée, John Carpenter et Debra Hill ont opté pour le retour de quelques figures discrètes des précédents opus, comme pour garder l‘idée d’une saga construite en comité réduit. On retrouve donc au générique Dick Warlock (Myers dans Halloween II) ici dans le rôle d’un droïde de Cochran, Nancy Loomis (Annie dans La nuit des masques) qui joue l’ex-femme de Challis, et on peut également entendre en VO la douce voix de Jamie Lee Curtis lors des annonces du couvre-feu qui résonnent dans les rues de Santa Mira. Le film connaîtra un sort peu enviable durant sa période d’exploitation en salles (seule la France lui réserve un accueil plutôt chaleureux, en dépit d’un titre complètement à côté de la plaque : Season of the Witch ayant été traduit stupidement par Le sang du sorcier). L’échec au box-office d’Halloween III aura été fatal à l’investissement de John Carpenter et de Debra Hill pour la saga Halloween. Car lorsque le producteur Moustapha Akkad décidera, quelques années après le fiasco, de remettre en scelle le croquemitaine d‘Haddonfield pour Halloween 4, le recours à la facilité aura raison des projets plus ambitieux de Carpenter, et ce malgré une tentative fort admirable de ne pas mécaniquement céder à la demande du public.
En résumé, devenu la bête noire de la saga pour la tentative de renouveau qu’il tenta d’être à l‘époque, Halloween III : Season of the Witch reste sans conteste un petit bijou de film d’horreur, grâce à une trame exclusive et définitivement pessimiste. Tous les ingrédients de l’horreur old school (les bons et les mauvais) et l’aspect typiquement carpenterien sont réunis pour faire du film une curiosité à laquelle se prête une dénonciation sociale encore plus intense aujourd’hui qu’elle ne le fut à l‘époque. Un remake de cet OVNI cinématographique serait l’occasion de donner une nouvelle chance au film.