Bonjour Paul, merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Vous avez été compositeur additionnel sur Halloween 6, illustrant en musique certaines des scènes retournées pour la version finalement exploitée en salles du film de 1995. Dans un sens, Alan Howarth aura composé l’essentiel de la bande originale de la version principale, dite Producer’s cut, et vous celle des re-shots. Mais comment avez-vous été approché pour remplir cette mission additionnelle ?
C’est bien ça ! Et pour l’histoire, le designer du son sur Halloween 6, Stephen Earnhart, est un ami proche. Il m’a contacté à l’époque pour lui composer des sons musicaux effrayants qu’il pourrait utiliser pour le film. Les producteurs avaient adoré ces sons, et Stephen leur a dit qu’ils provenaient de moi et que j’étais un jeune compositeur.
La production et ce designer du son envisageaient donc de donner au film cet aspect un peu psychédélique parsemé de flashs et de sons en jump scares, et c’est vous qui avez composé ces effets sonores ?
C’est cela. Ces sons étaient principalement d’étranges effets de pianos, et des effets semi-orchestraux, semi-électroniques.
Connaissiez-vous la saga Halloween avant de participer à ce projet ?
Je crois que j’avais vu un ou deux films Halloween, mais je n’étais pas intéressé par ce genre de productions à l’époque, ni même par l’horreur en général, quelle qu’en soit la forme. Je n’avais pas encore réalisé à quel point les films d’horreur pouvaient être agréables à regarder, et à en composer la musique !

Aviez-vous eu des recommandations particulières de la production ? Aviez-vous rencontré le réalisateur Joe Chappelle ?
Alors oui, j’ai reçu d’étranges demandes de la part des équipes. La première d’entre elles étaient de recomposer la musique du film, parce que je n’étais pas le premier. Le temps étaient très court et ils voulaient que je commence à composer le climax à la fin du film et que je travaille à l’envers au fur et à mesure, pour voir jusqu’où je pouvais me rapprocher du début du métrage avant la fin du temps imparti. La plupart de mes communications et des retours sur mon travail venaient du réalisateur par l’intermédiaire de Stephen Earnhart, et via des appels téléphoniques avec l’équipe technique.
Incroyable ! Dans un sens, cela signifie alors que si le temps leur avait permis de le faire, ils vous auraient laissé remplacer les partitions d’Alan Howarth par les vôtres ?
Peut-être ! Mais ce temps, je ne l’ai jamais eu en suffisance. Donc je ne saurais le dire avec assurance et exactitude.

Comment avez-vous considéré cette tâche de devoir remanier certains extraits déjà existants, et celle de remplacer le compositeur initial ? Quelles ont été vos inspirations ?
Je ne me suis pas inspiré de John Carpenter ou d’Alan Howarth, justement parce que c’était le but de l’opération, et le souhait des personnes qui m’ont engagé : s’éloigner de la musique électronique séquencée, qui était vraiment la marque de fabrique de ce duo. Je composais pour ma part de la musique plus organique, plus viscérale, presque animale. Bien entendu, j’ai utilisé le thème d’Halloween, mais je l’ai retravaillé pour lui donner un côté rock’n’roll audacieux. Je travaillais 24 heures sur 24 et, après trois jours sans dormir, j’ai composé cette version en guitare électrique du thème d’Halloween. Pour être honnête, j’avais enregistré environ douze pistes de guitare avant de réaliser que j’avais mal interprété les trois notes du thème et que j’avais du tout recommencer à zéro !
Vous n’avez donc pas du tout travaillé avec Alan Howarth, ce qui explique que vos noms n’apparaissent pas ensemble sur le disque de la bande originale du film.
Non, je n’ai pas travaillé avec Alan. Je suis arrivé sur le projet après qu’il ait terminé et mon travail consistait vraiment à remplacer autant de morceaux que possible de sa musique que je pouvais dans le temps imparti. J’ai écouté plusieurs de ses morceaux et c’est un compositeur très talentueux. Je ne pense pas que ma musique soit meilleure que la sienne, mais simplement une approche différente du film et un style de musique différent, basé sur les demandes de la production. Cette expérience m’a encouragé à composer davantage pour le cinéma. À l’époque, je composais, mais je produisais aussi des disques et je faisais du montage musical.

La musique d’Halloween 6 est un mélange de suspense, bruits de vent, rythmes de batteries et sonorités effrayantes. La musique du film cinéma est finalement différente de celle de la version Producer’s cut, au même titre que le film lui-même. Avez-vous souvenir des morceaux les plus notoires que vous avez composé à l’époque sur Halloween 6 ?
Eh bien, la version en guitare électrique d’Halloween 6, c’est de moi. Peut-être qu’il existe une autre version du film qu’Alan a réalisée, il faudrait que je revoie le film. J’ai écrit énormément de musique en très peu de temps. Je ne sais pas qi on peut imaginer ce que ça a été comme exercice ! Je sais qu’une partie de ma musique a été découpée et réutilisée dans d’autres scènes, et que les scènes pour lesquelles j’ai composée ont été alliées aux partitions d’Alan.
Le film a donc été totalement remanié dans ses images, mais aussi dans le son et la musique, lors de ce chamboulement de la version Producer’s cut au montage cinéma final. Cela reste-t-il, malgré son côté furtif, une belle expérience professionnelle ?
Tout à fait. J’ai toujours été un grand fan de l’acteur Donald Pleasence et ce fut un immense honneur de composer la musique de la dernière scène dans laquelle il apparaît dans Halloween 6.
Comment considérez-vous le film aujourd’hui, quel regard y portez-vous ?
Je n’ai pas vu le film depuis que j’ai travaillé dessus. Quand j’ai composé la bande originale je travaillais avec le groupe Los Lobos sur la musique du film avec Keanu Reeves Feeling Minesota. J’ai pris 6 jours de congés sur ce projet pour composer la musique d’Halloween 6. Mon souvenir est presque comme le film lui-même : une hallucination cauchemardesque ! J’ai enregistré tellement d’heures d’affilée sans dormir ! J’ai travaillé si intensément que j’étais presque à jour sur la mission qu’on m’avait donné dans des temps intenables. En réécoutant des extraits à ce jour, je les trouve sympa et j’en suis encore très heureux aujourd’hui. Je les trouve concordants avec le film, même autant d’années après.
Quel est votre film préféré de la saga ? Pensez-vous que la franchise a encore de beaux jours devant elle et qu’un avenir lui est encore possible ?
J’aime beaucoup le film original, forcément, et celui pour lequel j’ai travaillé, car il avait une vraie énergie. Oui, je pense que la franchise a laissé un bel héritage, et je crois que c’est une saga qui peut constamment être réinventée tout en gardant de la pertinence.

Vous avez travaillé comme monteur musical sur des films comme Le maître des illusions, Blade, Aquaman et la saga Fast & Furious, mais aussi d’autres univers artistiques tels que le clip Ghosts de Michael Jackson. Pourriez-vous nous parler de ces expériences et nous expliquer plus précisément en quoi consiste cette fonction de « monteur musical » ?
Bien-sûr ! J’ai de très bons souvenirs de tous les films que vous avez cités, et j’ai appris énormément de toutes les personnes avec qui j’ai travaillé. Le maître des illusions a été une expérience formidable. Simon Boswell est un superbe compositeur avec une énorme expérience dans le genre horrifique. C’est également un homme très drôle. Je crois que j’ai plus ri avec lui qu’en travaillant sur n’importe quel autre projet. J’ai beaucoup appris avec Simon. J’ai adoré la façon dont il a intégré les sons et vocaux sataniques interprétés par Diamanda Galas dans sa musique. C’était mon premier crédit officiel dans le montage musical. Clive Barker est un réalisateur avec lequel il est extrêmement intéressant de travailler. Blade a également été une expérience géniale. Stephen Norrington est un réalisateur de talent, et visionnaire ! Mes moments préférés sur Blade ont été le montage des musiques sur les scènes de combats au corps, avec des morceaux tels que Playing with lightning d’Expansion Union. J’ai eu accès à tous les instruments à vent et ai réarrangé et remixé tous ces morceaux pour correspondre plus étroitement aux images de combat. J’ai eu de la chance de travailler avec Stephen sur d’autres films et j’ai passé un excellent moment à composer la musique de son excellent film The Last Minute. Et juste un mot à propos des films Fast & Furious, qui sont un monde à eux seuls ! Ce sont d’énormes productions sur lesquelles un grand nombre de personnes travaille. Les films sont continuellement montés jusqu’à la dernière seconde et leur musique constamment montée jusqu’à la date limite. Il y a de nombreux titres et chansons intégrés, certains spécialement écrits pour les films, et sont dès lors développés à l’étape de post-production. C’est un travail d’équipe, et heureusement d’une équipe géniale.
Dans les années 90, vous avez composé la musique de Children of the Corn 5, une autre production horrifique de Dimension, quelques années après Halloween 6. Étiez-vous affilié aux frères Weinstein au début de votre carrière de compositeur ?
Oui, dans une certaine mesure. Ils m’ont souvent engagé pour refaire la musique de films dont celle d’origine avait été rejetée et pour laquelle ils souhaitaient en refaire une partie ou la totalité. Il y a aussi eu Operation Condor de et avec Jackie Chan, ou la comédie romantique Wishful Thinking avec Drew Barrymore. Pour Children of the Corn 5, j’étais le seul maître à bord.
Dans les années 2000, vous avez pris une autre direction artistique, en privilégiant le poste de monteur et éditeur de son et de musique, et en participant à des métrages prestigieux tels que Kate & Leopold, Shall we dance, et Dreamgirls qui vous a valu une belle récompense. Un désir de changement dans votre carrière ?
Pas forcément. Mais je me suis laissé emporter et séduire par les films musicaux et axés sur la danse, c’est vrai. J’apprécie vraiment les défis qu’ils représentent et me permettent de m’appuyer sur mon expérience acquise précédemment. J’ai été embauché par le réalisateur Peter Chelsom pour le montage musical de Shall we dance [avec Richard Gere et Jennifer Lopez, NDR]. Peter est un excellent réalisateur et possède des talents musicaux exceptionnels. C’était un vrai défi, car il fallait placer de nombreuses musiques sur des séquences de danses qui avaient été particulièrement répétées et chorégraphiées. Je devais rendre le tout crédible, comme si les acteurs avaient véritablement dansé sur la musique que j’incorporais. De fil en aiguille j’ai enchainé avec d’autres projets, puis Idlewild, et enfin Dreamgirls, une expérience très intense et très enrichissante.

Quels sont les derniers projets qui vous ont particulièrement comblés ?
J’ai travaillé sur de grands films, comme des productions plus modestes, et tout a été très enrichissant. Aquaman, mais aussi Thor 4 et Star Trek : sans limites.
Avec un tel parcours, il n’aura pas été évident de revenir sur les six jours de travail sur Halloween 6 ! Et pourtant, vous vous êtes prêté à l’exercice avec cette interview, et je vous en remercie infiniment, Paul. Ça a été un réel plaisir d’échanger avec vous au sujet de cette expérience et de votre carrière.
J’ai toujours été un grand fan de John Carpenter, et la saga Halloween est un classique. C’était une formidable opportunité et un privilège d’écrire la musique pour Halloween 6. Merci à vous pour cet échange. C’est beaucoup de travail mais un plaisir de revenir sur les expériences passées. Vos questions méritaient une vraie implication. Au plaisir de répondre à de futures questions, qui sait ? En l’attente, je vous souhaite tout le meilleur.