Le style minimaliste et profond de John Carpenter est emblématique des partitions de la bande originale d’Halloween mais aussi de la plupart des œuvres pour lesquelles il a composé. Ses souvenirs quant à l’origine de ce recours à la musique électronique sont d’une précision évidente : « La plupart de mes thèmes sont improvisés au synthétiseur, directement sur mon instrument. Ma carrière de compositeur de musique de films a commencé à l’école de cinéma. Là-bas, on n’a pas d’argent, donc encore moins pour un compositeur ou un orchestre. Il faut donc trouver un moyen de créer une musique suffisamment puissante pour son film, et le meilleur moyen d’y parvenir est le synthétiseur. En utilisant plusieurs pistes, on peut créer un son qui ressemble à un orchestre, idéal pour un film d’horreur ou un film d’action. Toutes sortes de choses. C’est là que j’ai commencé. Ma première bande originale était Dark Star, pour lequel je ne peux même plus vous dire quel type de synthétiseur j’ai utilisé, mais il était vraiment primitif. Puis Assault On Precinct 13 et Halloween, et j’ai ensuite commencé à composer les bandes originales de tous mes films, l’une après l’autre » .

Pour John Carpenter, le synthétiseur est sans équivoque l’instrument par excellence pour un travail complet et efficace sur des partitions accompagnant un film : « La technologie et les synthétiseurs se sont améliorés au fil des ans. Mais en gros, c’est un clavier sur lequel on peut appeler différents sons. On peut le faire aujourd’hui sur ordinateur en tapant simplement un programme. Mais autrefois, à l’époque des synthétiseurs à tubes, il fallait régler le synthétiseur, en dents de scie ou selon le son souhaité. Je n’y connaissais rien, alors j’ai dû faire appel à des gens pour le faire. C’est de là que sont venues toutes mes relations et mes collaborations : ils devaient manipuler les machines. Moi, je ne pouvais pas. Je ne pouvais que m’asseoir devant un clavier, leur demander de produire un son de basse profond, et ils le faisaient, je jouais, et c’était tout. Au début, je jouais simplement la musique, puis je la coupais à divers endroits. Mais au fil du temps, j’ai commencé à jouer en fonction de l’image, du film, ce qui est formidable » .

Carpenter a également des souvenirs très clairs de ses débuts, et des réactions très ambivalentes face à ses mélodies. Interrogé par l’équipe du site américain de PBS, le compositeur de légende répond sans vergogne à la façon dont les gens ont d’abord réagi : « Indifférents. Ils étaient totalement indifférents. J’ai commencé à avoir un peu de succès avec la musique d’Assaut, mais ce n’est qu’après un bon nombre d’années qu’on a réellement reconnu mon travail. Pour Halloween, la création de la musique a été différente. Mon père m’a offert une paire de bongos pour Noël quand j’avais 13 ans et il m’a appris à jouer en cinq/quatre, « pop pop pop », et j‘ai trouvé ça astucieux. Alors je me suis assis au piano, juste une fois en « dun-dun-dun », et j’ai joué des octaves, c’est de là que vient l’idée » . Cette particularité rythmique faisait partie des prémices dans le genre, avec celle de L’Exorciste quelques années plus tôt.

Puis vint le moment où Carpenter fit la même erreur qu’Alfred Hitchcock en 1960 lors de la présentation d’une scène clé de Psychose sans fond sonore : « J’ai montré le film à un directeur sans la musique, ce qui est une grave erreur.On ne montre jamais un film à qui que ce soit avant qu’il ne soit complètement terminé. Et le directeur m’a dit que ce n’était pas effrayant et que ça ne lui faisait pas peur » . Il s’agissait d’une femme des studios de la 20th Century Fox, se souvient Carpenter : « Elle n’avait pas peur du tout. Ce jour-là j’étais déterminé à sauver mon œuvre grâce à la musique. Et puis, vous savez, le film est sorti, et avec la musique, c’est devenu vraiment plus effrayant » . L’occasion de revenir sur les débuts de son parcours, et l’amour qu’il clame de tout son coeur pour la ville de Los Angeles : « Je suis arrivé à l’USC pour étudier le cinéma en 1968. John Ford, Alfred Hitchcock, Orson Welles. J’ai vu tous ces gars à l’école de cinéma. Ils sont tous venus nous parler. Il y avait Orson Welles, Howard Hawks dans ma classe. C’était génial, vraiment génial. Mais je m’égare… Los Angeles. C’était comme rentrer à la maison. J’aurais dû naître ici. J’aurais dû grandir ici. C’est chez moi. J’adore Los Angeles. On a tout. On a l’océan. On a des montagnes. On a de la neige si on monte assez haut. On a beaucoup de criminalité aussi… Mais on a plein de jolies filles. On a les plus jolies filles du monde ici à Los Angeles et il y a une scène musicale géniale. Et j’ai appris tout ce que j’ai appris sur le cinéma ici à Los Angeles, donc ça a toujours été très important pour moi en tant que ville où j’aime vivre et j’adore faire des films sur ce sujet » . La musique d’Halloween a été enregistrée aux Sound Arts Studios dans le centre de Los Angeles. Dans les souvenirs de Carpenter, le studio en question n’était qu’un « petit bâtiment en briques au fond d’une allée » .

Pour Halloween, Carpenter collabore avec Dan Wyman, orchestrateur (et futur compositeur sur Terreur extraterrestre et Hell Night) avec lequel il avait déjà travaillé sur Assaut. Son aide était précieuse pour concrétiser sa vision en un produit final cohérent : « Il programmait les synthétiseurs, supervisait l’enregistrement de mes performances souvent imparfaites et se joignait souvent à moi pour interpréter une ligne complexe ou accélérer le processus apparemment interminable de superposition de plusieurs instruments à la fois » , a déclaré Carpenter. « Son bon goût et sa musicalité ont peaufiné les contours d’une partition déjà minimaliste et rythmique » . Il aura suffi de deux semaines pour le compositeur pour écrire et orchestrer l’ensemble des partitions du film, et ce malgré les difficultés liées à l’époque. Faute de technologie, de budget et de temps, les deux compositeurs ont été contraints de travailler à la façon que Carpenter appelle « le mode double aveugle » , soit « en studio, sur le vif, sans référence ni synchronisation avec l’image réelle » qui ne défilait pas sous leurs yeux au moment où ils jouaient les notes. Cette intuition et ce professionnalisme ont tout de même permis aux musiques de coller parfaitement au film, l’harmonie entre le son et les images venant ainsi se compléter à merveille.

Dans les souvenirs de Carpenter, le premier titre de la bande originale qu’ils ont composé est le Halloween Theme. Et si le timing d’enregistrement de tous les morceaux était si court, c’est parce que Carpenter n’avait pas, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la liberté de l’étendre à son goût : « Les sessions de composition ont duré deux semaines, car c’était tout ce que le budget permettait. Mon plan était de sauver le film avec la musique. Et je pense que ça a fonctionné » . Il finit par : « C’est avec la musique qu’un film acquiert son style définitif, et c’est sur ce point que doit être jugée l’émotion globale. Quelqu’un m’a dit un jour que la musique, ou son absence, pouvait améliorer la vision d’un film. J’en suis aujourd’hui plus que jamais convaincu » .

DOSSIER HALLOWEEN SOUNDTRACKS :
LES BANDES ORIGINALES DES FILMS
