De par sa critique presse et publique très décevante, son scénario confus et sa production chaotique, Halloween 6 est sans conteste un film qui divise. Une division telle que le film s’est lui-même dissocié en deux métrages très différents, tant dans leur structure, que dans leur approche du mythe, ainsi que dans le montage, le son et la musique. Un cas d’école, conséquence de décisions contradictoires prises par ses éminences, et qui ont semé le trouble à chaque étape de son élaboration, conduisant le film de Joe Chapelle à subir les pires outrages le menant inéluctablement au piloris. S’il n’est plus question aujourd’hui de chercher les origines de cette malédiction, il reste à découvrir en quoi la composition de la musique du film a elle aussi provoqué de nombreux chamboulements au point de mettre, dans le plus grand secret, un terme définitif à plusieurs éléments ancestraux dans la saga. Car si Halloween 6 clôt la saga originelle, la trilogie Thorn et les aventures malheureuses du personnage de Jamie Lloyd, il tire également un trait sur la participation d’Alan Howarth au titre de compositeur de la bande originale, alors que celui-ci tenait ce rôle depuis près d’une quinzaine d’années, avec Halloween II. Retour sur un nouvel élément de ce gigantesque désordre.

Vendue en CD sous diverses éditions depuis la sortie du film en 1995, la bande originale d’Halloween 6 a toujours présenté en grand le nom de son cultissime compositeur : Alan Howarth. Et à l’écoute du disque comme à la découverte du film, la surprise première est d’entendre le thème d’Halloween revisité… à la guitare électrique. Une variation rock’n’roll inattendue, mais qui rejoint la volonté visuelle de présenter un film sous acide, étalant flashs à la limite de l’épilepsie et effets sonores discordants. On est certes très loin du film original, mais profondément dans la tendance grunge de ce milieu des années 90. Et pourtant, bien que ce thème revu à la basse électrique parsème le métrage entre autres pistes tout aussi énervées, Alan Howarth n’en est pas à l’origine. En effet, tous ces extraits dont les notes sont le frottement de cordes électriques (et ils sont nombreux sur le disque) sont l’œuvre d’un tout autre compositeur, appelé sur le tard par le production pour remplacer les morceaux déjà enregistrés, et ce sans en informer Howarth.

Ce secret, bien enfoui dans les méandres de la mémoire des personnes concernées, a commencé à renaître sous l’insistance permanente des fans luttant pour l’édition officielle de la version Producer’s cut d’Halloween 6. Cette version, censée être le montage d’origine du film, a été rejetée par le public lors des projections-test, obligeant la production à retourner des scènes dans l’urgence. Malgré le décès de Donald Pleasence, et dans un empressement quasi-suicidaire pour toute œuvre artistique, les producteurs de chez Dimension, avec l’aval du versatile réalisateur Joe Chappelle, décident également de modifier le dernier tiers du film, le montage et le style tout entier du métrage. En découla la version cinéma du film, et la bande originale éditée dans la foulée. Pendant des années, la version Producer’s cut circulait sous le manteau, trouvant avec l’essor des téléchargement illégaux via internet une popularité entretenant le mythe auprès des fans et des curieux. C’est en septembre 2014, soit vingt ans après le tournage, que la version d’origine est éditée en support média, en blu-ray notamment par Anchor Bay, faisant ressurgir par la même occasion la bande originale intégrale en double CD, toujours estampillée du nom d’Alan Howarth. Pourtant, on note deux tons très différents selon les métrages visionnés et/ou écoutés, tandis qu’un nom jusque-là inconnu vient bouleverser les acquis. Des extraits annoncés comme inédits circulent sur la toile, signés par Paul Rabjohns, un éditeur de son qui auraient composé en urgence plusieurs des pistes audio d’Halloween 6, et intégrées au métrage et à cette bande originale intégrale tardive. Certains des morceaux musicaux légendaires du film se trouvaient soudain avoir deux compositeurs à leurs origines. Malaise…

En tout et pour tout, Alan Howarth ne s’est jamais clairement exprimé sur ce point, mais n’a d’ailleurs jamais été particulièrement questionné non plus. Toutefois, Paul Rabjohns a pu donner des détails sur son intervention sur Halloween 6, sollicité en catimini par les producteurs lors du montage final de cette nouvelle version du film, quelques jours avant sa sortie en septembre 1995 (interview exclusive de Paul Rabjohns en ligne le 8 juillet). Alors que le film s’apprête à célébrer son trentième anniversaire, la musique des deux versions du film sont toujours au nom d’Alan Howarth, malgré que la participation de l’acolyte de John Carpenter ne se sera limité qu’à la composition des morceaux de la version Producer’s cut (et dès lors ceux inchangés sur le montage cinéma final). N’en déplaise ici, l’analyse de la bande originale se campera sur les morceaux en question, plus que sur les compositeurs qui en sont à l’origine.

Le thème d’Halloween 6, ici appelé « Jamie’s escape » par l’extrait qu’il illustre dans le film, est une approche totalement inédite et foudroyante du thème légendaire de John Carpenter. Dans son interlude, les percussions et la guitare électrique s’enflamment avec rythme et efficacité. S’il n’est plus un thème relatif à l’horreur (on ne frémit pas à son écoute), force est de reconnaître que l’effet en diable de cette version donne envie de se jeter corps et âme dans la suite. « Birth Ceremony » plonge quant à lui dans le mystique d’élans au synthétiseur plus langoureux et cabalistiques, soit l’autre versant d’Halloween 6, qui jongle avec cette part de musique mystérieuse et ses a-coups endiablés. L’intérêt de chaque nouvelle B.O. de la saga est de découvrir la nouvelle sonorité donnée aux thèmes maintes fois remaniés d’un film à l’autre. « Empy Stomach » revisite par exemple le thème de Laurie du film original et devient l’illustration de la ville d’Haddonfield, avec toutes les allures automnales et nostalgiques accompagnant ces douces mélodies. « You can’t have the baby », « Watching Mom » et « Kara returns » enchaînent les moments d’action aux partitions plus calfeutrées pour entretenir un suspense irréprochable.
La bande originale d’Halloween 6 est une parfaite musique d’ambiance pour un soir de très grande frousse, ses mélodies au piano (au rendu bien plus efficace que le traditionnel synthétiseur un chouilla moins viscéral) glaçant l’échine avant les travers en percussions infernales pour mieux faire sursauter. L’écoute de la piste « Look upstairs » est une route droite vers l’enfer qui glacera le sang du plus courageux des auditeurs et lui garantira de bondir de son siège au moment le plus inattendu. La secte païenne du film entretiendra quant à elle ses notes mystiques sur les pistes « Thorn », « Carnival Festival » et « It’s his game » avant le bouquet final « Maximum Security » et « Operating Room », sorte d’explosion de cordes électriques et de batterie folle lancée à toute allure.
Dans le double CD reprenant l’intégralité des morceaux musicaux des deux films, sorti en 2014, les pistes inédites sont donc, ironiquement, davantage celles d’Alan Howarth, composées pour la version initiale du métrage. La B.O. sortie en 1995 étant principalement l’œuvre de Paul Rabjohns et dont le nom est resté écarté pour de mystérieuses raisons. On y retrouve des morceaux musicaux d’anthologie réunissant toute l’essence des thèmes de John Carpenter, tels que « Her ending » ou « Halloween newborn », et des morceaux mélodiques profonds comme « Unfinished Business » et tous les envolées énigmatiques décrivant l’ambiance de la secte : « Dark society », Druids » ou encore « Thorn runes ». Ce double album, souvent dédicacé par Alan Howarth (pour enfoncer le clou de l’ironie) est un trésor de près de 135 minutes de thèmes variés et efficaces, tous très différents mais garantissant une ambiance ésotérique et ténébreuse. Une des plus surprenantes et originales bandes originales de la saga, pour deux Halloween 6 qui n’en sont pas moins… fantasques.

LES TITRES PRÉFÉRÉS DE ZESHAPE :
HALLOWEEN 6 THEME / JAMIE’S ESCAPE
YOU CAN’T HAVE THE BABY
EMPTY STOMACH
THORN
LOOK UPSTAIRS
IT’S HIS GAME
MAXMIMUM SECURITY
OPERATING ROOM
HER ENDING
SHAPE ATTACK
UNFINISHED BUSINESS
